mardi 10 mai 2016

La mort de Nikita Struve, éditeur d’Alexandre Soljenitsyne






http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2016/05/10/la-mort-de-nikita-struve-editeur-d-alexandre-soljenitsyne_4916925_3382.html

 L’éditeur Nikita Struve, à Paris, en octobre 2003.

 Éditeur d’Alexandre Soljenitsyne et grande figure de l’orthodoxie russe en France, Nikita Struve est mort samedi 7 mai au soir, samedi de Pâques dans le calendrier orthodoxe, à l’âge de 85 ans.
Issu d’une famille allemande d’astronomes passée au service de la Russie, Nikita Struve était né à Paris, dans l’émigration, après la Révolution d’Octobre : son grand-père, Peter Struve avait été marxiste avant de devenir libéral puis de représenter le général Dénikine à Paris.
Comme son oncle Gleb Struve, professeur à Berkeley, Nikita Struve se tournera vers la littérature russe qu’il enseignera à l’université Paris X-Nanterre dont il était professeur émérite.

L’Archipel du Goulag

Parallèlement, ce chrétien engagé est conseiller littéraire des éditions russes YMCA-Press de Paris qui publie nombre d’œuvres philosophiques et religieuses de l’émigration russe. Également rédacteur du Messager, la revue de l’Action chrétienne des étudiants russes, connue et appréciée en URSS, il y a des contacts avec la jeunesse orthodoxe dissidente.
C’est grâce à ces contacts, à la revue, mais aussi à ses interventions sur Radio Liberty qu’Alexandre Soljénitsyne entend parler de lui et, en 1971, il reçoit du dissident une lettre lui demandant de publier, à Paris, Août 14, le premier « nœud » de La Roue rouge.
Deux ans plus tard, Soljénitsyne lui confie, dans le plus grand secret, la publication de L’Archipel du Goulag. Le livre paraît la veille de Noël 1973 et le dissident est expulsé d’URSS quelques semaines plus tard.

« Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre »

« À son arrivée à Zurich, il m’a téléphoné. C’était la première fois que j’entendais sa voix », avait raconté Nikita Struve avec émotion à Aujourd’hui la Russie en 2011. Il assiste à son arrivée triomphale à la gare de Zurich sans oser l’aborder. Retenu par une foule massive, il préfère alors se rendre à l’appartement de l’avocat de Soljenitsyne : « Là, nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Dans la plus grande simplicité. »
« Nous avons passé quelques jours ensemble et nous sommes devenus des amis. Ensuite, il venait très souvent en famille chez nous et nous allions en Russie, après son retour dans son pays en 1994. »
Défenseur de la culture russe, Nikita Struve n’avait pourtant jamais voulu prendre la nationalité russe. « Cela m’a été proposé, mais j’ai refusé, confiait-il en 2011 à Ogoniok. Cela me permet d’aimer plus librement la Russie. Je suis né en France, je me suis rendu en Russie pour la première fois à 60 ans. Je l’aime telle qu’elle est, mais il est vrai que je ne nourrissais aucune illusion après 70 ans de régime soviétique. »

« Une orthodoxie qui ne soit pas repliée sur elle-même »

Cet orthodoxe fervent, membre du conseil de l’archevêché des églises russes sous la juridiction du Patriarcat de Constantinople, était en effet inquiet du tour pris par l’orthodoxie en Russie et de ses liens avec l’État. Il défendait d’ailleurs l’indépendance de l’Église russe dans l’émigration.
« Notre culture spirituelle est liée à l’Église. L’Église nous a aidés à conserver la langue et les traditions et c’est ce qui nous distingue de ceux qui sont en Russie. Notre expérience nous dit que nous devons préserver aussi longtemps que possible notre indépendance, affirmait-il. Nous avons besoin de notre liberté par rapport à l’État, par rapport à la Russie post-soviétique. Nous devons l’aimer, bien sûr, mais nous ne voulons pas qu’elle mette la main sur nous. »
Pour lui en effet, l’émigration russe avait une « mission propre », celle de défendre « un christianisme éclairé », « une orthodoxie qui ne soit pas repliée sur elle-même ».
Nicolas Senèze

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