https://leblogderolandjaccard.com/2016/06/21/pierre-pachet-et-laventure-du-sommeil/
Pierre Pachet nous a quittés ce 21 juin. Dans Nuits étroitement surveillées, il évoquait le monde des rêves et sa proximité avec celui des morts : « le règne de la liberté sans frein ».
Enfant, un livre m’intriguait dans la bibliothèque de mes parents ; il s’intitulait Mes insomnies et avait pour auteur un illustre général. Je trouvais curieux, presque incongru, qu’il parlât de ses insomnies plutôt que de ses batailles. J’ignorais alors le combat pathétique, et chaque soir renouvelé, que certains êtres doivent mener pour trouver le sommeil ; combat plus épuisant que toutes les épreuves qu’ils affrontent quotidiennement, plus angoissant que tous les cataclysmes qui les menacent.
À vrai dire, il n’est guère raisonnable de dormir ; Baudelaire le notait déjà : « À propos du sommeil, aventure sinistre de tous les soirs, on peut dire que les hommes s’endorment journellement avec une audace qui serait inintelligible si nous ne savions qu’elle est le résultat de l’ignorance du danger. »
Ces dangers qui nous guettent – la mort, la perte d’identité, les agressions… – Pierre Pachet les évoquait dans son essai, Nuits étroitement surveillées (Gallimard, 1980), qui ajoute au charme de la confidence celui d’une démarche scientifique renouant avec les « psychologistes » pré-freudiens (Hervey de Saint-Denis, A. Maury, Delbœuf…).
Dormir, c’est oublier la mort ; c’est également mettre entre parenthèses notre peur de ne pas dormir et accepter de quitter un monde aussi inquiétant qu’imprévisible.
Un humoriste anglais résumait ainsi les trois conditions fondamentalement nécessaires au sommeil : avoir chaud aux pieds, avoir bien digéré et avoir la conscience tranquille. Mais comment avoir la conscience tranquille quand tombe la nuit et qu’autour de notre lit, dans une furieuse sarabande, s’agglutinent nos remords et nos regrets ? Baudelaire : «L’homme qui fait sa prière le soir est un capitaine qui pose des sentinelles. Il peut dormir.»
Dormir enseigne un égoïsme salvateur. Mais attention, nous avertit Pierre Pachet, à guetter son propre endormissement, on risque de l’empêcher et de détériorer le gyroscope compliqué dont il dépend. Si, pour aimer, il faut croire à l’amour, pour dormir, il faut croire au sommeil.
Il prêta à son sommeil, à ses rêves, à ses insomnies, une attention scrupuleuse, presque maniaque. Plus proche de Valéry que de Freud, il entendait également montrer que le dormeur n’est pas immergé dans un ailleurs inatteignable, mais qu’il est d’une certaine manière conscient, c’est-à-dire volontaire, calculateur, capable de projets et de ruses.
« Que le rêve, écrit-il, puisse fournir des exemples de phrases correctement construites, devrait provoquer l’étonnement, et faire réfléchir ceux qui aiment à penser au rêve comme au règne de la liberté sans frein.«
Pierre Pachet et l’aventure du sommeil…
Enfant, un livre m’intriguait dans la bibliothèque de mes parents ; il s’intitulait Mes insomnies et avait pour auteur un illustre général. Je trouvais curieux, presque incongru, qu’il parlât de ses insomnies plutôt que de ses batailles. J’ignorais alors le combat pathétique, et chaque soir renouvelé, que certains êtres doivent mener pour trouver le sommeil ; combat plus épuisant que toutes les épreuves qu’ils affrontent quotidiennement, plus angoissant que tous les cataclysmes qui les menacent.
À vrai dire, il n’est guère raisonnable de dormir ; Baudelaire le notait déjà : « À propos du sommeil, aventure sinistre de tous les soirs, on peut dire que les hommes s’endorment journellement avec une audace qui serait inintelligible si nous ne savions qu’elle est le résultat de l’ignorance du danger. »
Ces dangers qui nous guettent – la mort, la perte d’identité, les agressions… – Pierre Pachet les évoquait dans son essai, Nuits étroitement surveillées (Gallimard, 1980), qui ajoute au charme de la confidence celui d’une démarche scientifique renouant avec les « psychologistes » pré-freudiens (Hervey de Saint-Denis, A. Maury, Delbœuf…).
Dormir, c’est oublier la mort ; c’est également mettre entre parenthèses notre peur de ne pas dormir et accepter de quitter un monde aussi inquiétant qu’imprévisible.
Un humoriste anglais résumait ainsi les trois conditions fondamentalement nécessaires au sommeil : avoir chaud aux pieds, avoir bien digéré et avoir la conscience tranquille. Mais comment avoir la conscience tranquille quand tombe la nuit et qu’autour de notre lit, dans une furieuse sarabande, s’agglutinent nos remords et nos regrets ? Baudelaire : «L’homme qui fait sa prière le soir est un capitaine qui pose des sentinelles. Il peut dormir.»
Dormir enseigne un égoïsme salvateur. Mais attention, nous avertit Pierre Pachet, à guetter son propre endormissement, on risque de l’empêcher et de détériorer le gyroscope compliqué dont il dépend. Si, pour aimer, il faut croire à l’amour, pour dormir, il faut croire au sommeil.
Il prêta à son sommeil, à ses rêves, à ses insomnies, une attention scrupuleuse, presque maniaque. Plus proche de Valéry que de Freud, il entendait également montrer que le dormeur n’est pas immergé dans un ailleurs inatteignable, mais qu’il est d’une certaine manière conscient, c’est-à-dire volontaire, calculateur, capable de projets et de ruses.
« Que le rêve, écrit-il, puisse fournir des exemples de phrases correctement construites, devrait provoquer l’étonnement, et faire réfléchir ceux qui aiment à penser au rêve comme au règne de la liberté sans frein.«
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