vendredi 26 août 2016

Paul Klee, la couleur enchantée


 


Une scénographie impeccable, qui permet de tracer son chemin dans une matière foisonnante, sert le propos de la nouvelle exposition du Centre Paul Klee de Berne, tout en laissant les œuvres non pas parler, mais bien chanter. Pour thème, la manière dont Klee, de même qu’il avait hésité entre la vocation de musicien et les arts visuels, est passé du dessin à la couleur, jusqu’à pouvoir noter enfin, en 1914, dans son journal: «La couleur me possède […]. Je suis peintre.» L’illustration est donnée une fois de plus de l’incroyable inventivité de l’artiste, qui n’a eu de cesse d’expérimenter les médiums, les techniques, les motifs et les formes, allant jusqu’à intervenir sur le verso comme sur le recto de ses toiles – on dénombre environ 550 peintures «doubles», dont seule une restauration, parfois, a permis de révéler la face cachée. Et s’il a connu une période de crise et de maladie à son retour à Berne en 1933, le peintre a produit ensuite une œuvre tardive particulièrement riche et imaginative.
Couvrant l’ensemble de la carrière, l’exposition nous conduit de surprise en surprise, même dans le cas de tableaux célèbres, comme si ceux-ci abondaient en trappes, passages secrets et échelles de corde. Sans s’ennuyer un seul instant, on passe d’une période à l’autre, d’une expérimentation à la suivante. D’un atelier à l’autre, également: avec un côté ludique que ne renierait pas l’artiste, trois des logements-ateliers font l’objet d’une présentation originale. Sur de grandes photographies, prises respectivement en 1920 et 1924, de l’atelier de Munich comme de celui de Weimar où, sur la paroi, on reconnaît des tableaux en cours ou achevés, sont justement accrochés certains de ces tableaux, qui retrouvent ainsi le site de leur genèse. Quant à l’atelier dans l’appartement du couple Klee, au Kistlerweg 6 à Berne, reconstitué et regarni de pièces du mobilier et d’objets qui y figuraient, tels un papillon, des coquillages, des livres sous leur reliure en cuir, et bien sûr des pots et des pinceaux, il permet au visiteur de se plonger dans l’univers à la fois simple et propice du peintre.
«Trois fleurs», peint par Paul Klee en 1920. Six ans plus tôt, l’artiste écrivait dans son journal personnel: «La couleur me possède […]. Je suis peintre.» (Zentrum Paul Klee, Bern, Schenkung Livia Klee)

Esprit visionnaire

Les œuvres dessinent, et peignent, à leur manière versicolore, cette évolution. Une évolution qui conduit donc des tentatives (on serait tenté d’écrire: des réussites) de jeunesse, un superbe portrait de la sœur, Mathilde, des petits tableaux, assez sombres, à l’égard desquels le jeune artiste se montrait très critique, et une série de peintures sous verre, dont un beau portrait du père, dans une modulation de noirs, des croquis caricaturaux comme cette «Fillette à la poupée», ou cette vision d’un troupeau de moutons sous un ciel d’orage, jusqu’aux grandes toiles de la dernière période. Le «Jardin sous-marin» de 1939, par exemple, où vogue, au centre exact, un poisson rouge, ou encore le «Sphinx au repos» de 1934. On ne parlera par de période de maturité, tant cette notion d’ailleurs mal définie, la maturité, éclate à chaque petit pas de Paul Klee au sein de ses jardins peuplés de formes, de signes, d’anges, de bêtes, de collines et d’enfants.
Comme peu d’autres, l’artiste a su tirer parti des techniques et des matières, ne craignant jamais de mélanger et de combiner les unes et les autres, collant des tissus divers, jute, coton, soie, gaze, mousseline, sur des supports de papier ou de carton, de manière à obtenir des lambeaux un peu semblables à des reliques émergeant de la nuit du passé, alliant l’aquarelle et l’huile, les couleurs à la colle, la craie, l’encre et le crayon, recourant au grattage, au frottage, au ponçage, à la pulvérisation pour moduler finement les surfaces, le tout dans un esprit visionnaire, par moments proche du surréalisme. Un défi pour les restaurateurs: particulièrement fragiles, les quarante-deux peintures sous verre de la collection bernoise (sur les soixante-quatre de ce type créés par Klee) viennent d’être restaurées «à grands frais» et encadrés. Si l’on en croit la fraîcheur retrouvée et la simple évidence de ces tableaux de format réduit, le résultat est convaincant. C’est bien simple, chez Paul Klee, si exigeant avec lui-même et si pointilleux, on a le sentiment d’une inaptitude au ratage, et à l’échec en général.

«Paul Klee. Je suis peintre», Centre Paul Klee, Berne,

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