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Pour les
révolutionnaires, Marie-Antoinette personnifiait le secret, la
perversion et le complot. Son procès fut d’une violence inouïe.
À travers elle, explique Emmanuel de Waresquiel, ce sont les femmes de
l’aristocratie qui sont visées. Les révolutionnaires ne leur pardonnent
pas de « régner » sur les esprits. L’auteur de Juger la reine
et des biographies incontournables de Talleyrand et de Fouché évoque
cette « méfiance incommensurable » qui annonce le puritanisme du XIXe siècle.
Revue des Deux Mondes – D’où provient la haine violente à l’encontre de la reine Marie-Antoinette ?
Emmanuel de Waresquiel – Marie-Antoinette
construit quelque chose d’extrêmement moderne qui est l’apparition, au
cœur du pouvoir, d’un espace privé. Elle importe en France ce qui
existait à Vienne à l’époque de son enfance : une séparation entre la
vie publique et la vie privée des princes. La notion même d’espace privé
qui, du point de vue des représentations révolutionnaires, relève du
secret, de la manipulation, du complot, s’inscrit en travers de l’idéal révolutionnaire,
à savoir celui de la transparence. L’organisation par Marie-Antoinette
du secret, d’un espace clos, est un chef d’accusation retenu par les
révolutionnaires.
« Le renversement des alliances est mal vécu par la cour. Les élites intellectuelles françaises, les Lumières, ont toujours considéré les Habsbourg comme l’ennemi héréditaire du royaume. »
Mais la haine n’éclôt pas avec le procès,
elle existe depuis 1780, année où paraît clandestinement le premier
pamphlet émanant de la cour, le Lever de l’aurore, peut-être
rédigé par le comte de Provence lui-même. Il prend appui sur la liberté
que s’accorde Marie-Antoinette d’inviter sa société à contempler le
lever du soleil sur les terrasses de Marly, avec les extensions
fantasmatiques que l’on peut imaginer – « buissonnades » et autres
débauches. La haine se développe et se cristallise très tôt pour des
raisons d’abord politiques et diplomatiques.
Elles tiennent au renversement des alliances en 1756, voulu par Louis XV et le duc de Choiseul pour des causes conjoncturelles – la lutte du royaume contre l’Angleterre. Louis XV pense qu’une nouvelle alliance avec l’Autriche plutôt qu’avec la Prusse facilitera le rééquilibrage de la puissance française.
Elles tiennent au renversement des alliances en 1756, voulu par Louis XV et le duc de Choiseul pour des causes conjoncturelles – la lutte du royaume contre l’Angleterre. Louis XV pense qu’une nouvelle alliance avec l’Autriche plutôt qu’avec la Prusse facilitera le rééquilibrage de la puissance française.
Le renversement des alliances est mal
vécu par la cour. Les élites intellectuelles françaises, les Lumières,
ont toujours considéré les Habsbourg comme l’ennemi héréditaire du
royaume. Depuis Henri IV, toute la politique française a été une
politique de desserrement de l’étau Habsbourg, du fameux pré carré qui
enferme la France au nord avec les provinces belges et autrichiennes de
Belgique, à l’est avec l’empire d’Allemagne et l’Autriche, au sud-est
avec les liens qui peuvent exister entre des principautés italiennes et
les Habsbourg, au sud avec l’Espagne. Le rapprochement avec l’ennemi
héréditaire a été mal ressenti.
« Marie-Antoinette a toujours conservé une nostalgie de l’enfance, de l’univers clos et protecteur. »
Quand Marie-Antoinette arrive en France
en 1770, elle est à la fois le gage et la caution de cette politique
dite de renversement des alliances. Elle n’est pas la première princesse
étrangère à épouser un dauphin ou un prince français (il y a eu Marie
Leczinska, Marie-Thérèse d’Autriche) mais elle est la première à venir
dans des circonstances politiques particulières et nouvelles, causes de
la méfiance qu’on lui porte. Elle est perçue comme un émissaire secret
de la cour de Vienne.
La seconde explication de cette haine
tient à Marie-Antoinette elle-même, à son éducation, sa jeunesse, son
tempérament. Elle a 14 ans et demi quand la cour de France l’accueille.
On la défait du cocon familial, de ses dames, de ses frères et sœurs
pour la projeter dans un monde « hérissé de miroirs et de clous », pour
reprendre une expression de Roberto Calasso qui pourrait s’appliquer à
Versailles, le cœur du faux-semblant et du mensonge.
Marie-Antoinette a toujours conservé une
nostalgie de l’enfance, de l’univers clos et protecteur. Il y a en même
temps la jeunesse, la gaieté, l’orgueil de la jeune archiduchesse
parfaitement consciente de son lignage supérieur, ce qui explique la
distanciation et la reconstruction d’un monde refuge, d’une thébaïde
idéale avec le Petit Trianon offert par son mari Louis XVI dès son
avènement en 1774. Bien qu’elle y passe peu de temps, il y a une rupture
mal vue entre le Petit Trianon et l’organisation publique de la cour de
Versailles. Le favoritisme suscité plus ou moins volontairement par
Marie-Antoinette à l’égard de ses proches provoque des jalousies et des
ambitions déçues chez les courtisans.
« Pour les révolutionnaires, Marie-Antoinette personnifie le secret, la perversion, la manipulation. »
Marie-Antoinette affiche sa volonté
d’organiser des amitiés sensibles et pas seulement de cour. Elle crée
des frustrations et des désirs de vengeance. Les premiers pamphlets
naissent de ces circonstances. L’épisode crucial de l’affaire du collier
(1784-1785), maladroitement conduite par Louis XVI et Marie-Antoinette
elle-même, alimente la montée en puissance du fantasme et de la haine.
Avec la publicité donnée aux comparses – Mme de
La Motte, son mari et quelques autres –, l’opinion en pleine
cristallisation s’empare de l’affaire pour accuser Marie-Antoinette de
cupidité, de dilapidation de l’argent de l’État et d’adultère avec le
cardinal de Rohan. Elle est victime de la transparence.
1789 marque un autre tournant dans sa vie
: avant la tourmente révolutionnaire, elle perd son fils aîné, qu’elle
aimait profondément. Il n’y eut pas un jour de sa vie où elle fut
véritablement heureuse, rapporte le prince de Ligne dans les souvenirs
publiés par Mme de Staël en 1807. C’est un mundus muliebris du désespoir, comme dirait Marc Fumaroli.
Pour les révolutionnaires,
Marie-Antoinette personnifie le secret, la perversion, la manipulation
(donc le complot), sans compter que son sexe et son statut de reine
aggravent son cas. C’est un procès à tiroirs : on juge une reine déchue,
une femme et une mère. La conjonction des trois personnes en une seule
fait d’elle l’accusée idéale dans le procès qu’intente la Révolution à
l’Ancien Régime, l’incarnation de tout ce qui est haï dans la monarchie :
l’inversion du rapport entre les hommes et les femmes.
Revue des Deux Mondes – Les
révolutionnaires haïssent l’amollissement et le pervertissement du
pouvoir de la monarchie, dus, selon eux, au « règne des femmes sur les
hommes »…
Emmanuel de Waresquiel – Ce
« règne » des femmes sur les hommes commence au XVIIe siècle, avec les
salons. La femme est la médiatrice d’une société nouvelle qui se met en
place ; elle y applique un principe d’égalité entre les jeunes talents
et les anciennes élites. Dans les salons parisiens de la seconde moitié
du XVIIIe siècle, la femme atteint un niveau d’influence jamais connu:
elle a l’initiative des usages, des modes et des mœurs ; elle acquiert
un rôle politique. Il faut lire Talleyrand sur ce sujet : le pouvoir
grandissant de la femme est perçu comme insupportable par les
révolutionnaires […]
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