Je réalise le sens de ce tableau que j’ai peint au retour d’une visite à l’abbaye de Solesmes. J’avais installé un atelier de fortune dans le sous sol vitré de la maison de l’Isle -Adam.
En deux coups de spatule sur ma toile, deux profils de femme prennent chair au pied d'une croix.
Quelles vibrations m'ont conduite à créer ce feu en forme de croix ?
Le profil de gauche est le mien celui qui me regarde est celui d une femme couronnée.
Le père Lucien Regnault,qui nous a reçus parce qu il n a pu éviter une obstinée de passage, m’a franchement contrariée. Je désirais rencontrer Dieu ou l'un de ses ministres, j’avais insisté sans avoir pris un rendez-vous.
Sans me démonter, je lui dis mon aspiration à approcher un homme de vérité. Comme je lui dis que je suis née à Oran, ce qui a l’air de ne provoquer aucun intérêt de sa part, il me répond qu il vient de passer les quarante dernières années en Égypte à traduire les « Apophtegmes » des Pères du désert.
Et nous en restons là.
Je déduis qu‘il n a aucune notion géographique. Au passage dans la librairie de l’abbaye, j achète ses douze Apophtegmes .
A ma connaissance rien de très contemplatif comme la magie d’un mot ardent pour mettre un doute dans l’esprit tourmenté d’un moine vivant dans le silence absolu pour marginaliser la grande gardienne de la
vie qu’est le mur vers le quel vont se fracasser ses propres manades;
Ces douze petites histoires des Pères du désert m’inspirent douze tableaux que j’introduis par un treizième, exécuté en moins d’un heure
Bleus, ors, rouges, feu, quelles furent vos forces qui rendent l’artiste redevable au ciel de son innocence de son éveil ?
Puis je signe ce tableau impitoyable, annonciateur d’un implacable saccage.
Ce fut mon dernier acte de peintre figuratif.
Mon amie, Marie Béatrice de Savoie , passe par la même épreuve, le même jour de la même année. Son fils Raphael se défenestre à New York. Avec cette monacale charge d’ordination de surenchère d’angoisse, rien ne pouvait davantage se juxtaposer que nos deux auras de mères jumelées dans un jeu
d’ordre du mythe des jardins de la mordante aronde rugueuse joueuse de nos vies et de nos enfants.
Était-ce là notre point de jonction sur cette toile, cette petite toile où se sont concentrées les puissantes lois de l’univers? L’erreur était-elle dans un temps mal inséré ?
Je mesure en moi l'outrance d’un espace intérieur plus grand que la galaxie Uranus. J’étais là dans mon temps d’errance, un pinceau a la main, guidée. Les voies qui me sont destinées sont toutes à la fois passé, présent, futur.
Je me sens agie, s’ il n‘en était pas ainsi je ne serais
qu’un tas de molécules chancelantes dans un quotidien décoloré.
Fini le temps où je mettais à l’épreuve mon sens de l’esthétique. Mes émotions montent en musique vers toi, dont les pierres volent dans une aire de violences et confusions.
Le temple est détruit. Ses couleurs murmurées ont transformé le peintre en un coursier muet, les bras offerts ouverts, pour accueillir le grand pouvoir de l’art, comme un accomplissement qui ne pouvait être enseigné, comme un messager se jouant des repères institutionnalisés, ne tenant compte que de la mémoire des mots du ciel, une mémoire désertée des hommes du fond de leur océan de savoir.
-ne pleure pas
L’artiste transforme les ondes de force en ondes de formes. Cette Énergie le délivre du quotidien qu’il ne saura jamais apprivoiser, sans même savoir qu’il a perdu la chaîne de l’esclave.
Il vient d’échapper à sa condition de rameur, de galérien pour regagner le véhicule qui a conduit Élie sur son char de feu après son combat contre les iconoclastes. Mais Élie était un gars du Sud pas plus madré qu’un autre sans autre but que de rafler les dorures des iconoclastes massés dans un nuage comme des oiseaux de proie.
Avec un génie tu as transformé sous mes yeux incrédules ce tracé de courbes et de droites inventées un jour de sainte fiction dans une terra incognita en
un embrasement de vie venu d’une autre rive. Les bleus et les ors, la croix, les profils des deux femmes se sont détournés de la toile. Je suis en train d’expérimenter une aventure que je ne soupçonnais pas. La face invisible de mon tableau est devenue notre oeuvre commune, la vigie d un monde ignoré dont l’éphéméride s‘inscrit en souffrances faites d'atomes de chair,de ta chair et la mienne séparées.
Peux-tu me dire quelle ressource reste en moi ?
-Une arme tenace : pintare»
Mon coeur se met en attente, car l’amour qui fait rois ceux qui aiment s'est effacé de ma mémoire:je n‘aime plus bien.
C‘est ma grande affaire.
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