Deux coups de spatule , brefs, aléatoires, comme deux griffes lancées dans un vide . Puis un temps, long , le temps de rejoindre l ‘oubli mais aussi un temps émergé comme une lancée dans le ventre.
Une toile entre deux petits temps , médusée par un déclic du mauvais temps de la moitié d’ un siécle de méditation . .Emprise d’ un temps cruel relié à mon inaptitude à générer un autre temps . . Seul son créateur a ressenti la déchirure et le temps n ‘a rien arrangé .
Abbaye de Solesmes .
Dans la chapelle un univers silencieux et vibrant . Des ombres que je finis par identifier comme des moines, des voix grégoriennes , piliers invisibles du culte chrétien .
Le père Lucien Regnault avait fini par me recevoir au débotté . J’avais tellement insisté pour rencontrer un ministre de Dieu .Le moine de l ‘accueil n’avait pas su comment se débarrasser de moi .
Il m ‘ introduit dans une petite salle éclairée par une grande fenêtre donnant sur un parc admirable ; le père est arrivé très vite et s’est assis en face de moi .
Sans
hésitation , sans préambule , je lui dis mon aspiration à
approcher un homme de vérité.
Il
me regarde silencieux. Je le trouve raide. je regrette déjà d’être
sur cette chaise .
Je dis que je
suis née à Oran, que je m ‘accommode du reste , que je
peins des signes , que le seul héritage dont je dispose sont des
souvenirs enchanteurs et j ‘ insiste sur cette quête
incessante de la nomade que je suis devenue, que j ‘étais peut
être au départ......
Ce
qui a l’air de ne provoquer aucun intérêt de sa part, il répond
qu il vient de passer les quarante dernières années en Égypte à
traduire les « Apophtegmes » des Pères du désert.
Pas
de rapport .
Et
nous en restons là.
Je déduis qu‘il n a aucune notion géographique.
En partant , j achète ses douze Apophtegmes dans la
librairie de l’abbaye .Je déduis qu‘il n a aucune notion géographique.
Rien
de très contemplatif. Au cinquième siècle , en plein désert
Abba Antoine un moine ardent tourmenté vivant dans le silence
absolu se plaint de la foule qui défile devant sa porte .
Je
les lis vite assez vite pour décider d’ une exposition future .
J’avais
installé un atelier de fortune dans le sous sol vitré de la maison
de l’Isle -Adam où des amis m ‘avaient invitée .
Ces
douze petites histoires des Pères du désert m’inspirent douze
tableaux que j’introduis par un treizième que j ‘exécute en
moins d’un heure .
Bleus, ors, rouges, feu, quelles furent vos forces qui rendent l’artiste redevable au ciel de l’ innocence de son éveil ?
Bleus, ors, rouges, feu, quelles furent vos forces qui rendent l’artiste redevable au ciel de l’ innocence de son éveil ?
En deux coups de spatule sur ma toile, deux profils de femme prennent chair au pied d'une croix.
Quelles vibrations m'ont conduite à créer ce feu en forme de croix ?
Le profil de gauche est le mien celui qui me regarde est celui d une femme couronnée.
Je signe ce tableau
impitoyable, annonciateur d’un implacable saccage.
Ce fut mon dernier acte de peintre figuratif.
Mon amie, Marie Béatrice de Savoie , passe par la même épreuve, le même jour de la même année : Son fils Raphaël se défenestre à New York.
Ce fut mon dernier acte de peintre figuratif.
Mon amie, Marie Béatrice de Savoie , passe par la même épreuve, le même jour de la même année : Son fils Raphaël se défenestre à New York.
Avec cette charge monacale
et d’ordination ,de surenchère d’angoisse, rien ne pouvait
davantage se juxtaposer que nos auras de mères jumelées dans un
jeu d’ordre du mythe des jardins de la mordante aronde
rugueuse joueuse de nos vies et de nos enfants.
Était-ce là notre point de jonction sur cette toile, cette petite toile où se sont concentrées les puissantes lois de l’univers? L’erreur était-elle dans un temps mal inséré ?
Je mesure en moi l'outrance d’un espace intérieur plus grand que la galaxie Uranus. J’étais là dans mon temps d’errance, un pinceau a la main, guidée. Les voies qui me sont destinées sont toutes à la fois passé, présent, futur.
Je me sens agie. S’ il n‘en était pas ainsi je ne serais qu’un tas de molécules chancelantes dans un quotidien décoloré.
Fini le temps où je mettais à l’épreuve mon sens de l’esthétique. Mes émotions montent en musique vers toi, dont les pierres volent dans une aire de violences et confusions.
Le temple est détruit. Ses couleurs murmurées ont transformé le peintre en un coursier muet, les bras offerts ouverts, pour accueillir le grand pouvoir de l’art, comme un accomplissement qui ne pouvait être enseigné, comme un messager se jouant des repères institutionnalisés, ne tenant compte que de la mémoire des mots du ciel, une mémoire désertée des hommes du fond de leur océan de savoir.
-Ne pleure pas .
L’artiste transforme les ondes de force en ondes de formes. Cette Énergie le délivre du quotidien qu’il ne saura jamais apprivoiser, sans même savoir qu’il a perdu la chaîne de l’esclave.
Il vient d’échapper à sa condition de rameur, de galérien pour regagner le véhicule qui a conduit Élie sur son char de feu après son combat contre les iconoclastes. Mais Élie était un gars du Sud pas plus madré qu’un autre sans autre but que de rafler les dorures des iconoclastes massés dans un nuage comme des oiseaux de proie.
Avec un génie tu as transformé sous mes yeux incrédules ce tracé de courbes et de droites inventées un jour de sainte fiction dans une terra incognita en
un embrasement de vie venu d’une autre rive. Les bleus et les ors, la croix, les profils des deux femmes se sont détournés de la toile. Je suis en route pour une aventure que je ne soupçonnais pas. La face invisible de mon tableau est devenue notre oeuvre commune, la vigie d un monde ignoré dont l’éphéméride s‘inscrit en souffrances faites d'atomes de chair,de ta chair et la mienne séparées.
Peux-tu me dire quelle ressource reste en moi ?-Une arme tenace : pintare.
Mon coeur se met en attente, car l’amour qui fait rois ceux qui aiment s'est effacé de ma mémoire:je n‘aime plus bien.
C‘est ma grande affaire. ©L.C
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