mardi 5 juillet 2016

Philippe Sollers. Extrait de : Mouvement

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Vous pensez sans doute que l’auteur exagère, vous allez me dire que personne n’a jamais vu des fleuves battre des mains, ni des montagnes crier de joie. Moi, si, mais je me garde bien de le dire. On me trouve assez fou comme ça.
L’auteur est déchaîné, il veut que tout exulte et jubile. Il convoque des cors, des harpes, des cithares, des danseuses, des tambours, des cordes, des flûtes, des cymbales, bref « tout ce qui respire ». Qui a enregistré ces fêtes ? Tout n’a-t-il pas disparu ?

Eh non, la tradition se maintient et se renouvelle. Qui s’inspire du Psaume 117, et n’en finit pas de faire résonner des Alleluia ? Le vieux Bach, dans ses fabuleux Motets, enregistrés en 2011 par sir John Eliot Gardiner et le Monteverdi Choir. Regardez-les dans cette photo prise le 28 septembre 2011, dans la cathédrale de Pise. Gardiner est un saint, ça se voit, et il pense au saint qu’est son musicien préféré. Son coup de baguette est aussi précis et violent que ce vol d’un faucon, maintenant, devant moi, luttant contre le vent, immobile et battant des ailes, avant de piquer, de façon foudroyante, sur sa proie.

Gardiner a lui-même raconté comment il avait eu la chance, à l’âge de 12 ans, de connaître par cœur les parties de soprano des Motets de Bach, lesquels ne l’ont plus quitté par la suite :
« Leur complexité et leur densité hors du commun posent de redoutables problèmes aux interprètes, qui doivent cumuler l’endurance physique, une virtuosité exceptionnelle, et une sensibilité aux changements d’atmosphère et de texture, ainsi qu’à la signification exacte de chaque mot. »
Et aussi :
« Bach attendait de ses chanteurs une virtuosité comparable à celle d’un instrument, et une agilité de funambule, dans les Motets plus que partout ailleurs. »

Mozart en 1789, à Leipzig, entend pour la première fois un motet de Bach. Il est ébloui : « Voilà quelque chose où il y a à apprendre ! » L’ensemble d’instruments et d’effets percussifs dépasse de loin les harpes et les tambours d’autrefois. Cela dit, Bach se considérait comme un maillon de la vénérable lignée des musiciens d’église, qui, depuis très longtemps, a pour vocation de produire des chants d’action de grâces. Il a ainsi écrit de sa main, dans la marge d’un exemplaire de sa bible :
« L’Esprit de Dieu a prescrit tout particulièrement la musique. »

J’avais, paraît-il, à 12 ans, une très bonne voix de soprano qui m’a fait repérer par une ennuyeuse chorale. Je n’y suis pas resté longtemps, mais le phénomène de la mue m’a surpris, comme si je devais renoncer à voler. Un angle de moi était devenu muet. J’ai beaucoup tenté de me transmuter à travers les mots, et, au fond, j’écris des motets. Je peux chanter facilement, moduler, réciter, improviser, déclamer, mais enfin je ne suis pas un ange. J’écoute sans fin le vieux Bach, il me conduit.

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